Il est de bon ton de s’inquiéter de l’exode urbain, surtout ces jours-ci alors que le mythe voudrait que la COVID ait accéléré le départ des populations urbaines vers les régions éloignées et les petites villes.
Deux remarques s’imposent:
- l’exode urbain, s’il existe, serait vers les zones péri-métropolitaines, pas vers les régions.
- il est loin d’être certain qu’il y ait exode urbain. L’analyse des flux bruts semble plutôt montrer qu’il y a ralentissements, depuis vingt ans au moins, des flux entrants.
J’expose ci-dessous les chiffres qui révèlent cette dynamique.
Cette dynamique est importante, car si l’on veut poser des actions concrètes pour ‘retenir’ les Montréalais, encore faut-il que le problème auquel l’on fait face soit leur départ. Si le véritable problème est une réduction des arrivées, alors les solutions, si elles existent, sont sans doute différentes.
L’importance des flux bruts
Les journalistes et autres blogueurs (dont celui-ci) observent une augmentation des flux nets de Montréal vers le reste du Québec. Mais que se passe-t-il?
Plusieurs dynamiques sont possibles.
- le nombre de Montréalais qui quittent la ville a-t-il cru plus rapidement que le nombre de Québécois qui y arrivent? Ce ne serait pas vraiment un exode urbain, mais une hausse généralisée de la migration, avantageant le reste du Québec.
- le nombre de Montréalais qui quittent la ville a-t-il décru moins rapidement que le nombre de Québécois d’ailleurs qui y arrivent? Ce ne serait pas vraiment un exode urbain, mais une baisse généralisée des migrations, avantageant le reste du Québec.
- le nombre de Montréalais qui quittent la ville a-t-il cru alors que le nombre de Québécois d’ailleurs qui y arrivent a décru? On pourrait alors parler d’exode urbain.
Par ailleurs, quelles sont les tendances à long terme? La période COVID est exceptionnelle: les chiffres les plus récents montrent-il un retour vers la normale?
Montréal n’attire plus
Le figure ci-dessous décompose le flux de migrants net (entre Montréal et le reste du Québec) en sa composante ‘arrivées’ et sa composante ‘départs’.

Source: fichier complet 1519, ISQ (Institut de la statistique du Québec, exploitation du Fichier d’inscription des personnes assurées (FIPA) de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ))
On y constate une baisse d’arrivées, baisse presque continue depuis 2002: en 2018-2019, le nombre d’arrivées n’était que de 70% du niveau de 2002.
Par contre, les départs sont stables: en 2018-2019, le nombre de départs, qui a un peu fléchi entre 2012 et 2015, est au même niveau qu’en 2002.
Montréal attire donc de moins en moins de Québécois, alors qu’elle continue, en gros, à en perdre autant qu’avant. Ce n’est pas l’exode urbain mais la fin de l’exode “rural”.
Effet COVID?
En 2019-2020 nous n’avons pas assisté à une accélération des départs de Montréal : plutôt, nous avons vu une décélération encore plus marquée des arrivées.
2020-2021 est la seule période pendant laquelle les départs se sont réellement accélérés, alors que les arrivées sont restées à leur bas niveau de 2019-2020.
En 2021-2022, la période la plus récente, nous constatons deux choses:
- les départs de Montréal ont baissé par rapport à l’année précédente, et sont presque revenus à leur niveau prépandémique. Montréal parvient donc à retenir sa population aussi bien (ou aussi mal) qu’avant – nous sommes, en 2021-2022, au même niveau absolu qu’en 2002.
- les arrivées vers Montréal n’ont pas encore récupéré, et restent au bas niveau atteint durant la COVID. Nous ne sommes plus qu’à 60% du niveau de 2002.
Il n’y a pas d’exode urbain, mais l’exode “rural”1 est révolu
Le défi pour Montréal ne semble pas être la rétention de sa population, du moins pas plus que durant les deux dernières décennies.
Le défi de Montréal est l’attraction de la population du reste du Québec Cette capacité d’attraction est influencée par beaucoup de choses, par exemple:
- la démographie: y a-t-il aujourd’hui autant de jeunes qu’en 2002 (les jeunes tendent plus à migrer vers les grandes villes que les personnes plus âgées)? Par ailleurs, la population est vieillissante, et les personnes qui prennent leur retraite tendent peut-être à quitter l’île.
- l’économie des régions: entre 1980 et début 2000 les économies régionales ont subi des changements structurels difficiles, accompagnés d’un exode vers la ville. Les économies régionales se sont stabilisées, et il y a donc peut-être moins de raisons de partir.
- Montréal elle-même: le prix des logements (que ce soit pour les familles ou pour les étudiants) et les coûts d’autres éléments essentiels ont beaucoup cru à Montréal. Ceci réduit peut-être l’attrait de Montréal pour les migrants internes au Québec. Par ailleurs, les opportunités d’emploi sur l’île ne sont peut-être pas aussi attrayantes qu’ailleurs en vu des coûts et des formations requises.
- Le travail à domicile: depuis longtemps, c’est à dire au moins 20 ans, la capacité pour certaines personnes de travailler à domicile tout en restant connecté a augmenté2. La COVID a rendu ces pratiques encore plus courantes, réduisant le besoin de migrer vers l’île.
- Données: les données s’arrêtent en juin 2022. Il est possible que l’on verra un rétablissement des arrivées car ces chiffres ne mesurent peut-être pas le retour des étudiants aux études en face-à-face en automne 2022. Cependant, rien n’indique un tel effet. La part des 15-24 ans parmi les arrivées a baissé de 11% sur les 20 années: leur part était de 32% en 2002-2003, et de 21% en 2021-2022, pourcentage semblable à celui de 2018-2019 (21.5%). De moins en moins de jeunes arrivent à Montréal, mais ça ne semble pas être un effet COVID3.
Il faut essayer de mieux comprendre les raisons de la baisse – sur le long-terme- des arrivées vers Montréal.
Mais il ne faut pas tomber dans le piège de concevoir cette baisse comme un exode urbain.
Il ne semble pas y avoir d’exode urbain au Québec, mais l’exode “rural” est bel et bien révolu et Montréal ne peut plus compter dessus!
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1 Évidemment, le Québec hors Montréal n’est pas nécessairement ‘rural’. Le terme “exode rural” évoque toutefois le contraire de l’exode urbain: je m’en sers comme raccourci. Il faut noter que l’exode rural a été nourri par certains de processus décrit ci-dessous.
2 Dans ce rapport de 2013 nous évoquons ceci à la page xxvi et dans le section 5.2 page 76, mais des chercheurs comme Felstead et ses collègues en 2005, l’évoquent depuis bien plus longtemps.
3 La part des 15 à 24 ans parmi les départs a aussi baissé, mais seulement de 6%, passant de 14.9% en 2002-2003 à 9.1% en 2021-2022. Il faudrait faire une autre note sur la démographie des flux rentrant et sortant…
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