Exode urbain au Québec?

Pendant l’urgence COVID, les chiffres de migration ont fait la une des journaux. Pendant les périodes 2019-20 et 2020-21 Montréal a connu des départs nets élevé, et l’on a aussi constaté un certain afflux de population vers des régions éloignées du Québec. Cela dit, la grande majorité des départs de Montréal a été vers les zones péri-métropolitaines (Montérégie, Laurentides, Laval, Lanaudière).

Cette année, les chiffres ont été moins commentés: nous ne sommes plus en période de pandémie, et, comme les choses vont un peu mieux pour Montréal, les titres d’articles sont moins racolleurs: les mots ‘exode‘ et ‘fuite’ sont moins de mise. Il se passe cependant des choses intéressantes en région, et il est utile de voir comment les flux migratoires évoluent.

Ci-dessous je présente quatre figures résumant les flux migratoires nets entre quatre types de région au Québec. L’analyse est centrée sur Montréal, et les quatres types de région sont:

  • Ile de Montréal (région 6) – métropole principale du Québec.
  • Régions péri-métropolitaines (Laval-13, Montérégie-16, Laurentides-15, Lanaudière-14)
  • Autres régions du sud (Estrie-5, Outaouais-7, Mauricie-4, Capitale Nationale-3, Chaudières-Appalaches-12, Centre-du-Québec-17)
  • Régions éloignées ou périphériques (Abitibi-Témiscamingue-8, Saguenay/Lac-St-Jean-2, Côte-Nord-9, Nord-Du-Québec-10, Bas-St.Laurent-1, Gaspésie/Iles de la Madeleine-11).

Ce découpage est un peu grossier, mais permet de saisir certaines tendances majeures concernant la migration inter-régionale et la position de Montréal dans ces flux. Toutes les figures retracent les évolutions depuis 2001-2002 afin que l’on puisse plus facilement séparer les tendances à long terme de celles attribuables à la COVID.

La distribution spatiale de la population Québécoise
Figure 1: source ISQ, Estimations de la population des régions administratives, Québec, 1ᵉʳ juillet 1986 à 2022

Depuis 2002 la croissance la plus rapide a lieu dans les zones péri-métropolitaines de Montréal, c’est à dire sa grande banlieue.: il s’agit donc d’étalement urbain. Viennent ensuite les autres régions du Sud du Québec (comprenant la Capitale Nationale) : l’on observe une légère accélération de la croissance de ces régions durant la COVID.

La tendance pour l’île de Montréal est moins claire: après une période de stagnation entre 2002 et 2008, l’île a connu une croissance comparable à celle des autres régions du sud entre 2009 et 2016, suivie d’une forte accélération de sa croissance entre 2017 et 2019. Durant la période de 2020 à 2021 l’île a connu un déclin de population (retour au niveau de 2018), suivi d’un retour à la croissance en 2022.

Finalement, les régions éloignées sont en déclin depuis 2002 (avec une légère embellie entre 2008 et 2010 – les migrations de départ ont été ralenties par le manque d’opportunités hors-régions durant la crise de 2008-2010). Cependant, ces régions ont renoué avec la croissance de population depuis le début de la crise COVID: une partie de cette croissance pourrait être attribuable au ralentissemernt des migrations de départ durant la crise, et une partie pourrait être attribuable aux nouveaux arrivants.

Ces chiffres sont pour la population totale, comprennant donc les migrations inter-provinciales et internationales (ces dernières sont surtout importantes pour Montréal). Les tableaux suivants se concentrent sur les migrations nettes entre régions au sein du Québec.

Montréal: vers où vont (et d’où viennent) les Montréalais?
Figure 2. Source: Institut de la statistique du Québec, exploitation du Fichier d’inscription des personnes assurées (FIPA) de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ).

Bon-an mal-an l’île de Montréal perd 1% de sa population au profit des régions péri-métropolitaines. Entre 2012 et 2015 ces pertes ont baissé, mais depuis 2016 les pertes de Montréal au profit de sa grande banlieue s’accélèrent. Il est important de noter que cette accélération date de 2016, et l’infléchissement observé durant la première période COVID (2019-2020) est léger. C’est durant la période 2020-2021 que ces pertes au profit de la grande-banlieue ont bondi, pour revenir à leur niveau de 2019-2020 durant la période 2021-2022.

Des évolutions semblables – mais d’intensités bien moindres – sont observables pour les autres régions du sud et pour les régions éloignées. Sur le long terme, l’arrivée nette de migrants à partir de ces régions s’est transformée en départs: ces départs se sont accélérés sur la période 2019 à 2021, pour entamer un retour vers les niveaux pré-COVID entre 2021 et 2022. Cependant les niveaux pré-COVID ne sont pas encore atteints.

Montréal: qui à tendance à partir?
Figure 3. Source: Institut de la statistique du Québec, exploitation du Fichier d’inscription des personnes assurées (FIPA) de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ).

Ce sont principalement les jeunes adultes (de 15 à 24 ans) qui arrivent à Montréal: tous les autres groupes d’âge tendent à la quitter. Pendant la période COVID tous les groupes d’âge sauf les plus de 80 ans ont vu accélérer leurs flux nets de départs (ou décroître leurs flux d’arrivées), mais, là encore, avec un retour vers la tendance entre 2021 et 2022. Cependant, le retour a été moins rapide pour les jeunes adultes – qui restent encore dans leurs régions d’origine, ou qui ne seraient revenus à Montréal que pour le début de l’année scolaire/universitaire en Automne 2022 (les chiffres mesurent les flux de Juillet à Juin, et ne mesurent donc pas ce retour éventuel).

Impact de la migration Montréalaise sur les régions

L’impact des flux décrits plus hauts dépend de la population initiale dans chaque région. Des petits flux partant de Montréal (qui compte plus de 2 millions d’habitants) pourraient avoir de gros effets sur les régions qui reçoivent (les régions éloignées ne comptent qu’environ 860 000 habitants).

Figure 4. Source: Institut de la statistique du Québec, exploitation du Fichier d’inscription des personnes assurées (FIPA) de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ).

La migration à provenance de Montréal a l’impact le plus fort en région péri-métropolitaine, de l’ordre de +0.8% par année. La contribution de Montréal à la croissance péri-métropolitaine tend a baisser entre 2003 et 2013, passant de +1% à +0.5%, mais est en forte accélération depuis: cette accélération s’est accentuée entre 2019 et 2021 (+1.3% de contribution pour la période 2020-2021), pour retomber en 2021-2022 à +1.0%.

L’on voit mieux, sur cette figure, le renversement des flux nets entre Montréal et les autres régions du sud et avec les régions périphériques: ces deux types de région, qui perdaient de la population au profit de Montréal jusqu’en 2009 environ, en gagnent depuis, et ce surtout depuis 2016-2017. Cependant, même durant la COVID, ces gains ne représentent que +0.15 à +0.23% de leur population: même au plus fort de la COVID, les Montréalais n’ont pas afflué vers ces régions, et ce même si l’on mesure ces flux en proportion de la population des régions d’accueil.

Pour conclure

Il existe sans doute des villes ou villages spécifiques – probablement des lieux de villégiature et/ou des lieux avec des équipements de transport et de télécommunication de qualité – pour qui l’arrivée de Montréalais est un élément important et perturbateur. Mais notre analyse générale des flux nets de migration confirme que la grande majorité des gens qui quittent Montréal (avant, durant, et sur la fin de la crise COVID) le font vers des zones péri-métropolitaines; l’impact de ces migrations sur les régions qui reçoivent les migrants est aussi plus important dans ces zones péri-métropolitaines que dans les autres régions du Sud du Québec ou que dans les régions éloignées.

Ces constat rejoignent ceux d’autres études, comme par exemple celle (bien plus exhaustive et portant sur des des micro-données) effectuée en France et décrite par Alexandre Coulondre, et celles de David Gordon de l’Université Queens, portant sur les métropoles Canadiennes.

Published by Richard Shearmur

I am a professor at McGill's School of Urban Planning. I perform research on innovation, on how we locate work activities (in a world where people often work from many places), and on urban and regional economic geography. I used to work in real-estate, and teach a course on this. I am an urban planner, member of the Ordre des Urbanistes du Québec and of the Canadian institute of Planners.

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