Un article récent de La Presse a dressé une liste assez triste d’exemples de refus de permis de construire pour des projets apparemment bénéfiques socialement ou environnementalement – logements étudiants, logements au centre-ville…
J’ai suggéré dans une petite note sur LinkedIn que “Les urbanistes, ainsi que leurs interprétations des règlements, [pourraient empêcher] la construction de logements”. Je suggère, par ailleurs, que certains urbanistes (pas tous) ont peut-être un biais contre les promoteurs privés.
Cette note a valu plusieurs commentaires, ainsi qu’une discussion intéressante sur le rôle de l’urbaniste. Plusieurs interlocuteurs m’ont fait remarquer que les urbanistes ne sont pas les seul.es responsables des décisions, et que celles-ci relèvent souvent des conseils municipaux et des politicien.nes.
Quels rôles jouent les urbanistes?
L’ordre des urbanistes du québec en définit le rôle ainsi. Un.e urbaniste:
- analyse la ville, mais aussi la région et le territoire rural, comme lieux d’interaction sous les angles économique, social, politique, culturel et environnemental ;
- élabore, coordonne, supervise et vérifie les instruments de planification et de réglementation en matière d’urbanisme, notamment les schémas d’aménagement et de développement, les plans d’urbanisme et les règlements d’urbanisme ;
- élabore des programmes de mise en œuvre et effectue un suivi et une évaluation des interventions ;
- négocie des ententes relatives à des projets de développement et de redéveloppement;
- communique efficacement les résultats de ses études lors d’assemblées publiques ou de débats publics ;
- écoute et comprend les positions défendues par les groupes de citoyens, les élus, les promoteurs et les développeurs ;
- maîtrise et utilise les nouvelles technologies de l’information.
En gros, et sans tout couvrir, un.e urbaniste qui travaille pour une municipalité pourra donc jouer les rôles suivants.
a- Élaboration de plans d’aménagement
L’urbaniste (municipal) joue un rôle d’analyste et de conseil important, rôle qui doit être informé par la consultation publique. Entre autres ce rôle est central à l’élaboration et à la formulation des plans d’urbanisme (s81, LAU a-19.1). Ces plans sont élaborés par la municipalité (s88, LAU 1-19.1), en conformité avec les plans supérieurs des MRC, agglomérations ou métropoles le cas échéant.
Il s’agit donc de documents politiques, certes, mais fortement orientés par les plans et orientations provinciaux et régionaux. Les plans d’urbanisme sont en général élaborés par des urbanistes, même si leur adoption finale relève des conseils municipaux.
b- Élaboration et application de règlements d’urbanisme (permis de construire)
Le rôle des urbanistes devient plus immédiat lorsqu’il s’agit de la mise en place des réglements (s113 et seq, LAU 1-19.1). Ces réglements traduisent le plan d’urbanisme en régles pécises, régles qui régissent ensuite ce que les propriétaires et autres utilisateurs de bâtiments et de terrains peuvent construire. Ces règlements doivent être adoptés par les conseils municipaux, mais ce sont en général des urbanistes qui les rédigent, et qui doivent ensuite les appliquer.
En théorie, toute demande de construction qui respecte le zonage (et autres règlements) devrait être acceptée: le zonage (et les autres règlements) octroient le droit de construire.
Mais qui décide s’il y a conformité? Qui peut induire des délais, demander des modifications aux projets, demander des vérifications….? Ce sont les urbanistes. Bien entendu, un promoteur peut se plaindre et faire appel, mais c’est une longue procédure, et mieux vaut obtempérer aux demandes.
C’est là que le rôle de l’urbaniste peut soit faciliter les choses (et souvent c’est le cas), soit mettre à risque la construction en générant de l’incertitude et en induisant des délais (ce qui, malheureusement, se produit aussi).
c- Organisation de consultations et conseils sur la modification de règlements
Assez souvent, un promoteur (ou un particulier) propose un projet qui demande que les règlements soient modifiés – parfois de façon assez mineure, parfois de façon majeure.
Il existe des procédures dans la LAU pour effectuer des consultations lorsqu’une modification est demandée – ici aussi l’urbaniste joue un rôle important, non seulement pour organiser ces consultations, les encadrer, mais aussi en assurer le prompt déroulement.
La lenteur peut tuer un projet, et le rôle des urbanistes – qui peuvent de façon passive ralentir les choses (ou tenter activement de les accélérer) – est primordial.
d- Conseils généraux sur les orientations urbanistiques et sur les décisions
Finalement, les urbanistes – spécialistes du cadre bâti – conseillent les décideurs politiques. Les décideurs ont l’ultime responsabilité de leurs décisions, mais les conseils octroyés par les urbanistes sont très importants.
Ce rôle peut, lui aussi, être joué de façon à encourager ou à décourager certaines décisions, modifications de règlement, etc…
Retour à l’article de la Presse
Comme me l’ont fait remarquer certains commentateurs, ce ne sont pas seulement les urbanistes qui peuvent faciliter, ou rendre impossible, des projets immobiliers. Je suis d’accord, et les rôles esquissés ci-dessus mettent ceci en évidence.
Je ne voulais pas suggérer dans mon billet que les urbanistes sont les seul.es responsables, ni que tous les urbanistes sont réfractaires aux promoteurs privés, quelle que soit la qualité des projets. Par contre, je soutiens qu’il existe des milieux en urbanisme qui adoptent une position assez négative envers les promoteurs privés.
Cela se comprend: dans un monde où le privé est mis en exergue comme plus dynamique, plus capable, plus entreprenant que le public, et dans un monde effectivement dominé par la finance et le court-terme, cette attitude n’est pas surprenante là où elle est présente. Elle va souvent de paire avec un réel souci pour le logement abordable, pour enrayer la gentrification, et pour protéger l’environnement.
Mais dans la mesure où ceci se traduit en méfiance indue envers les promoteurs, les urbanistes ont un pouvoir de nuisance – et il n’en faut parfois pas beaucoup pour qu’un projet devienne trop risqué et soit abandonné.
Un article intéressant de Policy Options développe des arguments semblables aux miens, mais les auteurs réagissent au biais inverse chez certains urbanistes, celui qui consiste à être trop pro-développement (biais que je déplore aussi).
Les auteurs écrivent que:
“recommendations to council to approve applications that fail the test of good planning practice […] are unfortunately not rare in Canadian municipalities. Planners need to acknowledge and confront poor planning practice in their profession.”1
Je suis d’accord avec leur conclusion, mais j’ajouterai:
“recommendations to council to refuse applications that meet the test of good planning practice are unfortunately not rare in Canadian municipalities. Planners need to acknowledge and promote good planning practice in their profession.”2
Je pense que les faits racontés dans l’article de la Presse sont le reflet de certains biais qui sévissent parfois en urbanisme.
1 “il n’est malheureusement pas rare dans les municipalités canadiennes que des demandes qui ne reflètent pas des bonnes pratiques urbanistiques soient recommandées au conseil [municipal] pour approbation. Les urbanistes doivent reconnaître et confronter les mauvaises pratiques urbanstiques dans leur profession.”
2 “il n’est malheureusement pas rare dans les municipalités canadiennes que des demandes qui reflètent des bonnes pratiques urbanistiques soient recommandées au conseil [municipal] pour refus. Les urbanistes doivent reconnaître et promouvoir les bonnes pratiques urbanistiques dans leur profession.”