Registre des loyers: théorie et idéologie

Un principe qui sous-tend le droit et les marchés: l’accès à l’information

Il y a un principe de base qui sous-tend deux domaines, l’économie et le droit.

En économie, il est bien reconnu que, pour qu’un marché fonctionne de façon efficiente, tous les acteurs doivent avoir accès à l’information. Si l’information est asymétrique, si certains acteurs ont plus d’informations que d’autres, alors ceux qui détiennent l’information en profitent.

En droit, l’information est aussi importante. Pour connaître et faire respecter ses droits, et pour connaître et assumer ses responsabilités, il faut avoir accès aux textes législatifs ET à l’information permettant de les faire appliquer. Si les textes législatifs ne sont pas accessibles (soit qu’ils sont cachés, soit qu’ils sont écrits de façon délibérément incompréhensible – je pense aux textes de droit fiscal), ou si ces textes sont disponibles mais que l’on n’a aucune information permettant de les faire appliquer, le droit devient un outil au service de ceux qui peuvent se payer des avocats.

L’information, donc, est à la base des marchés efficients (c’est à dire où aucun acteur ne peut les manipuler) et d’une société de droit juste1 (c’est à dire où aucun acteur ne peut la manipuler).

L’information est nécessaire pour éviter les écueils… et pour faire fonctionner les marchés et faire respcter les lois
source: https://www.finance-watch.org/understand-finance/guides/understanding-finance-3-what-kind-of-financial-markets-do-we-need/

Un exemple simple d’accès à l’information: Registre des loyers

Il n’est pas nécessaire d’avoir de grands débats ou de grands discours théoriques pour comprendre que le registre des loyers est un outil simple et nécessaire pour rendre efficient et (plus) juste le marché locatif.

Sans registre, l’accès à l’information sur les loyers est détenue de manière asymétrique: ce sont les propriétaires qui la détiennent, et qui, dans des petits marchés de quartier, détiennent des quasi monopoles de logement.

Sans registre, l’absence d’informations empêche de faire respecter les textes législatifs sur les hausses de loyers: ce sont les propriétaires qui détiennent l’information nécessaire pour les faire appliquer, information qu’ils ne partagent pas [ou que, s’ils la partagent, ils contrôlent2].

Position idéologique du gouvernement de Québec

Le gouvernement du Québec, qui se réclame pro-marché et, je l’espère, pro-état-de-droit, trouve des excuses faibles pour expliquer son refus de mettre en place un registre des loyers. Les coûts, semble-t-il, seraient exorbitants.

Évidemment, si l’on se fie au fiasco de la SAAQ, il a raison. Mais ça, c’est de la mauvaise gestion et du copinage. Si l’on se fie à Vivre en Ville, il n’est pas particulièrement difficile ou onéreux de mettre en place un registre. Et si l’on se fie aux maires, un tel registre est nécessaire.

La seule raison – outre l’incompétence généralisée dans la gestion de contrats – qui fait sens du refus de la CAQ est qu’ils ne sont ni pro-marchés, ni pro-état de droit, mais pro-propriétaires.

Ceci n’est pas surprenant, mais clarifie les choses. Leur refus est un refus idéologique que la CAQ devrait avoir le courage d’assumer. Un gouvernement élu est en droit de privilégier certains segments de la population: j’imagine qu’un gouvernement plus à  gauche favoriserait les locataires. La CAQ choisit les propriétaires: on peut être en accord ou pas, mais ça, c’est de la politique…

Il serait tout de même plus honnête pour la CAQ de le dire ouvertement plutôt que d’inventer des excuses qui défient la logique des marchés et de l’état de droit.

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1 Le secret d’état, bien que parfois nécessaire, devrait être exceptionnel. Un état qui n’assure pas l’accès aux informations nécessaires aux citoyens pour faire respecter leur droits (établis par la législation) ridiculise les lois qu’il est sensé faire respecter. Il est bien beau de limiter l’augmentation des loyers, mais si l’on ne met pas en place un outil pour rendre public les loyers précédents, cette limitation est purement théorique et impoissble à faire respecter.

2 Après la première publication de ce blogue, voici environ 2 heures, Jean Sasseville m’a fait remarquer avec raison (sur Linkedin) que les nouveaux baux obligent les locateurs (que j’ai appelé propriétaires, dans mon texte) à déclarer le loyer le plus bas payé dans les 12 derniers mois (section G). Ceci est certes un progrès. Cependant, il ne permet pas aux locataires (à moins qu’ils aient des détectives privés à leur service ou, de façon plus réaliste, qu’ils connaissent les anciens locataires) de vérifier les dires du propriétaire. Même si les recherches du locataire montrent qu’un loyer plus bas a été payé, il lui incombe ensuite de faire les démarches. Par ailleurs, certains propriétaires obligent les anciens locataires à déclarer un loyer plus élevé que celui payé (en monnayant, par exemple, le droit de quitter avant la fin du bail contre la signature d’un bail fictif à loyer plus élevé). Un registre qui enregisterait les baux à leur signature par les deux parties, locataire et locateur, règlerait ces problèmes. L’information serait alors vérifiée par les deux parties, remise à jour annuellement, et publique.

Published by Richard Shearmur

I am a professor at McGill's School of Urban Planning. I perform research on innovation, on how we locate work activities (in a world where people often work from many places), and on urban and regional economic geography. I used to work in real-estate, and teach a course on this. I am an urban planner, member of the Ordre des Urbanistes du Québec and of the Canadian institute of Planners.

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